BIODIVERSITÉ ET ÉCONOMIE

Par Pascal Picq

Que vaut, d’un point de vue économique, la biodiversité ? S’il est regrettable des points de vue anthropologique, éthique, esthétique, écologique, civilisationnel et évolutionniste d’en arriver à estimer la valeur des services économiques rendus pas la nature, en l’occurrence la biodiversité, pour en appréhender l’importance fondamentale pour nos sociétés actuelles et futures, les chiffres sont vertigineux, à l’aulne des plans de relances dans toutes les régions du monde pour sortir de la crise de la pandémie causée par un coronavirus sorti, bien malgré lui, de son écosystème. Dans la lignée des rapports de Nicholas Stern sur les coûts pour l’économie des dérèglements climatiques, l’économiste Partha Dasgupta de l’Université de Cambridge vient de publier un rapport d’un groupe de travail sur les enjeux économiques des écosystèmes et des biodiversités. Cela se chiffre en millions de milliards de dollars.

Cela s’ajoute à d’autres rapports publiés depuis une dizaine d’années sur d’autres enjeux économiques considérables sur des questions de diversité rien qu’au sein et entre les sociétés humaines abordées sous l’angle des discriminations sexiste, de genre, ethniques et culturelles mais aussi pour les handicapés et sur l’âge. Les biodiversités et les diversités passent du statut d’externalités négatives plus ou moins admises dans une appréciation globalement positive d’un système économique évaluées par des indices comme le PIB à celui d’éléments fondamentaux pour une économie innovante et soutenable.

La prise de conscience est récente. Rappelons que si le GIEC est fondé en 1988, il faut attendre 2012 pour l’IPBES. Par-delà toutes les raisons justifiant de la préservation des biodiversités, et d’une prise de conscience économique globale, il y a l’émergence d’une autre réalité : les sociétés humaines, dont leurs entreprises et les entreprises, appartiennent à des écosystèmes. Même si l’idée n’est pas nouvelle, on passe d’analogies heuristiques à des analogies fonctionnelles. Car la biodiversité ne se limite pas au nombre d’espèces ou de populations, mais aux réseaux d’interactions entre les individus des populations des différentes espèces d’un écosystème. L’économie circulaire constitue un des facteurs de fonctionnement des écosystèmes. Il ne s’agit plus seulement de parler de biomimétisme, mais de bio-inspiration. Plus que jamais, les logiques coévolutives s’imposent aux activités économiques et pour deux grandes catégories de raisons indépendantes, mais qui se rejoignent et s’amplifient depuis une décennie : les premières, liées aux biodiversités et aux écosystèmes que l’on vient d’évoquer très succinctement et, les deuxièmes, avec l’explosion de l’espace digital darwinien dans le cadre de la révolution numérique mondiale qui, au risque d’étonner, se développe selon des mécanismes inspirés de la biologie évolutionniste. Si on ne comprend pas les écosystèmes naturels, leurs biodiversités, leurs interactions, ce sera encore plus dommageable avec les écosystèmes numériques. Nous avons toujours été et nous sommes toujours dans des mondes darwiniens ; à condition de savoir ce qu’ils sont vraiment. Et de rappeler que les théories de l’évolution et les mécanismes d’adaptation reposent en premier lieu sur les diversités. Autrement dit, la dégradation des biodiversités nuit à nos économies et à nos sociétés et, en plus, élimine les sources de bio-inspiration pour l’émergence de nouveaux modèles économiques.  
Petit rappel historique. Un des plus grand génie de la fin du XVIIIe siècle était Erasmus Darwin, grand-père de Charles. Ami d’Adam Smith, il participe à l’émergence de nos sociétés industrielles tout en s’intéressant aussi à la diversité du vivant et ce que seront les théories de l’évolution, les changements de société et ce qu’on a encore du mal à comprendre – et ce malgré la pandémie actuelle – la médecine évolutionniste. Deux siècles plus tard, il semble que nos théories économiques peinent encore à comprendre les logiques fondamentales des biodiversités, des écosystèmes et de l’économie.