VERS DES ÉCOSYSTÈMES HUMAINS ET URBAINS :
DIVERSITÉS ET BIODIVERSITÉS
D’ici 2050, les deux-tiers de l’humanité vivra dans des milieux urbanisés et près de côtes. Un défi considérable pour l’adaptation humaine. Si, pendant deux millions d’années, les espèces humaines se sont adaptées grâce à leurs formidables capacités physiologiques et cognitives, ça l’est aussi grâce à leurs innovations techniques et culturelles. Pendant toute cette longue période, les humains se sont adaptés aux contraintes de la nature. Aujourd’hui, inversement de paradigme : l’adaptation humaine et urbaine en devenir doit se faire avec la nature et en la protégeant.
La paradoxe inversé d’Alphonse Allais.
On connaît ce beau paradoxe d’Alphonse Allais : « On devrait construire les villes à la campagne. L’air y est tellement plus pur ». Les problématiques de la ville ne date pas d’hier. Ce qu’ignorait Allais, c’est qu’un siècle plus tard, les campagnes – entendre les biodiversités – entreraient dans les villes.
Nous héritons d’une tradition philosophique, humaniste et civilisationnelle qui influence les politiques des villes, des plus petites aux plus grandes.
-L’idée qu’une civilisation est d’autant plus avancée qu’elle s’éloigne de la nature.
-L’idée humaniste que les sociétés humaines doivent œuvrer pour améliorer la condition humaine ; sous-entendu en s’affranchissant des contraintes des origines, qu’elles soient de l’ordre de la création ou de l’évolution.
-L’idée du solutionnisme, que les sociétés humaines ont les aptitudes de trouver les solutions techniques aux problèmes imposés par la nature.
Cela se traduit, pour l’Occident et depuis la Renaissance, par trois tendances : la ville utopique ; l’architecture et l’urbanisme fonctionnalistes ; la conception minérale des édifices, des bâtiments et de l’habitat.
Les défis qui nous attendent pour la ville de demain ne peuvent se limiter à apporter des solutions techniques. Ils s’inscrivent dans une nouvelle philosophie, une nouvelle politique et, oubliée jusqu’à aujourd’hui si ce n’est rejetée aux portes de la cité, une anthropologie de la ville.
De la Renaissance à nos cités modernes, tout se conçoit selon cette doctrine de la séparation de l’Homme et de la Nature. La cité est hors de la nature, doit se protéger de ses excès et, par conséquent, la cité ne se pense pas comme une menace envers la nature. Aujourd’hui, elles sont les principales causes du réchauffement climatique.
Actuellement, plus de la moitié de l’humanité est urbanisée pour l’être aux deux-tiers d’ici le milieu du siècle. Alors même que le projet de l’humanisme progressiste semble s’accomplir, il faut inverser le paradigme :
La nature entre dans la ville et la ville doit protéger la nature
Inversé un tel paradigme s’impose comme le défi de notre temps et ne représente pas moins un enjeu de civilisation. Civilisation, d’après la définition du Littré :
Action de civiliser ; état de ce qui est civilisé, c’est-à-dire ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de l’action réciproque des arts industriels, de la religion, des beaux-arts et des sciences.
Civilisation n’est dans le Dictionnaire de l’Académie qu’à partir de l’édition de 1835, et n’a été beaucoup employé que par les écrivains modernes, quand la pensée publique s’est fixée sur le développement de l’histoire.
Aucune référence à la nature et actuellement on perçoit combien les opinions publiques imposent d’autres orientations à nos civilisations (forums citoyens sur l’environnement et le climat), et donc à la cité.
Dans son essai Effondrement, Jared Diamond met en évidence les facteurs qui conduisent au délitement des civilisations : déforestations et déstructuration de l’habitat ; détérioration des sols (érosion, salinisation, perte de fertilité) ; gestion de l’eau ; chasse et pêche excessives ; espèces invasives ; croissance démographique ; intensification de l’impact humain sur l’habitat.
S’ajoutent cinq autres facteurs récents : les effets du dérèglement climatique ; les émissions de produits chimiques toxiques (pollutions) ; les pénuries d’énergie (aggravées depuis le conflit avec l’Ukraine) ; l’utilisation maximale des capacités photosynthétiques ; l’effondrement des biodiversités.
La ville n’est pas isolée de son territoire, une évidence. Elle se situe au centre d’un espace dans lequel elle puise ses ressources et rejette ses déchets, mais sans se concevoir elle-même comme un écosystème. Si elle constitue un écosystème économique pour les ressources et les activités humaines, elle n’a pas été pensée comme un écosystème avec ses biodiversités végétales et animales, comme lieu de production alimentaire et encore moins pour agir contre les dérèglements climatiques. Un écosystème, c’est une biocénose et un biotope et, plus encre, leurs interactions. Ce sont là de nouvelles tendances devenues des exigences et sources d’innovations.
De minérale et humaine, la ville évolue vers un écosystème qui intègre ce qui, depuis des milliers d’années, se trouvait hors de la ville.
La ville comme écosystème des activités humaines connaît déjà des évolutions avec les concepts de smart-cities. Toutes les activités et les fonctions de la ville s’intègrent dans un écosystème numérique dont la prochaine étape est celle des jumelles numériques (digital twins) : modéliser numériquement la ville, ses activités et ses fonctionnalités. Des avancées, certes, mais cantonnées dans la sphère des activités humaines.
Ce qui se fait déjà pour les bâtiments et des quartiers de ville va s’étendre à toute la ville et, dans un future proche, ses territoires (smart territories). Dans cette évolution, on ne peut ignorer tous les facteurs environnementaux (climat, eaux, air, biodiversité…), ce qui amène aux concepts de green cities et de sustainable cities (entrants et déchets). Le grand enjeu des années à venir sera, non pas de faire converger ces deux écosystèmes, mais de faire en sorte qu’ils tissent (to mesh) un écosystème intégrants tous ces facteurs.
De telles transformations auront des effets considérables et positifs sur la santé et les maladies civilisationnelles. A cela s’ajoutent les transformations du travail avec les formes de travail à distance. Les personnes ne recherchent plus un lieu de vie agréable où résider loin du lieu de travail, mais des villes intégrant à la fois qualité de vie personnelle, collective, professionnelle et environnementale. D’aucuns parle de la revanche de la province sur les métropoles ; à suivre …
Pascal Picq De Darwin à Lévi-Strauss. L’Homme et la Diversité en Danger. Odile Jacob 2017.
Pascal Picq Sapiens face à Sapiens. Flammarion 2019.
Pascal Picq Les Chimpanzés et le Télétravail. Eyrolles 2021.
Pascal Picq et Philippe Chiambaretta Coévolutions urbaines. Stream05 Nouvelles intelligences 2021.
Pascal Picq et Denis Lafay S’adapter ou périr. La ville doit s’adapter. La Tribune 16/02/21.