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Article de Pascal Picq dans la revue RH/M

Femmes, Entreprises et Adaptation par Pascal Picq

La pandémie de la Covid-19 continue de frapper l’humanité, en particulier les femmes dans leurs vie privées et professionnelles. Dès que surgit une crise, les sociétés remettent en cause le statut des femmes.

Dans « Tristes Tropiques », Claude Lévi-Strauss rapporte cette scène. Alors qu’il est autour du feu avec des hommes Nambikwara, il s’amuse à leur faire un tour de magie avec de la poudre. Seulement l’explosion est plus forte que prévue ; tout le monde sursaute. Les fiers guerriers ont le sentiment d’avoir perdu la face. Ils demandent à l’éthologue de s’éloigner Lévi-Strauss s’inquiète, craignant une réaction violente. C’est alors que les hommes s’approchent de lui, presqu’hilares. Et ils lui disent : « bah, tout ça, c’est à cause des femmes ». Evidemment, aucune femme n’était à proximité.

Il n’y a pas encore si longtemps, les Baruyas de Nouvelle-Guinée vivaient dans des sociétés à un fort antagonisme sexuel. L’idéologie de la domination masculine sépa- rait radicalement les mondes des femmes et des hommes. Ces der- niers contrôlaient tous les moyens de production, comme les bâtons à fouir le sol. Evidemment, les femmes n’auraient aucun problème à façon- ner de tes outils, mais ce qui importe ici, c’est le monopole des moyens de production. Toutes les femmes doivent s’effacer devant tous les hommes, comme s’écarter d’un chemin ou emprunter des chemins moins aisés. Elles sont infériorisées dans tous les aspects économiques, politiques et sacrés, leurs rites d’ini-tiations étant beaucoup plus simples que ceux des hommes, prétextes à de grandes cérémonies.

Chez les peuples Khoïsan du Kalahari, il y a les San perpétuant leurs économies de chasse et de col- lecte tandis que les Khoï se livrent à des échanges de biens et de services avec les agriculteurs voisins, comme les Bantous. Les Sans se montrent plus égalitaires et les hommes peu coercitifs. Chez les Khoï, les hommes monopolisent les relations extérieures, contrôlent les biens et leur circulation. La vie privée et les espaces de vie privée sont plus marqués, avec plus de coercitions envers les femmes.

Quand, il y a quelques siècles, les européens arrivent en Amérique du Nord, ils découvrent des sociétés où les femmes disposent réels pouvoirs économiques, techniques, politiques et sacrés, comme chez les Hurons. Les activités des hommes se concentrent sur la chasse, les hommes. Auparavant, plus au sud, les peuples Apaches et Comanches découvrent le cheval importé par les Espagnols. Leurs économies d’horticulture complémentée la chasse se concentre désormais sur cette activité accaparée par les hommes ; de même pour les razzias.

Ces quelques exemples ethnographiques soulignent les facteurs universels de la domination masculine qui persistent dans nos sociétés dites modernes. Les rituels d’initiations ? C’est la hiérarchie des diplômes favorisant ceux à caractère technique (machines, numérique, finance …). Les contrôles de moyens de production ? Ce sont les fortes réticences des organisations professionnelles pour l’acceptation des femmes et de leurs compétences, notamment autour des machines. Le monopole des relations extérieures ? Encore de nos jours, les métiers les mieux rémunérés exigent des déplacements (il suffit de prendre le TGV ou l’avion en semaine). L’antagonisme sexuel ? Le fait que les hommes privilégient les relations entre eux et tiennent des attitudes et des propos désobligeants envers les femmes, même envers celles qu’ils apprécient, montrant là leur solidarité de genre. Les contraintes contre la coalition des femmes ? Les réunions en fin d’après-midi et la limitation des structures d’accueil des enfants. Enfin, quand ça va mal, c’est à cause des femmes. Même si elles revendiquent souvent les premières – Révolution française, la commune, Mai 1968, les gilets jaunes, elles sont systématiquement renvoyées à leurs soi-disant travail.

Depuis 2015, le McKinsey Gobal institute (MGI) fait le bilan des inégalités envers les femmes dans le monde économique et social. Outre le fait qu’on s’intéresse depuis peu à ce problème, ces travaux soulignent des avancées très sensibles, mais brutalement remises en cause par la pandémie.

 

 Les inégalités persistent dans nos sociétés, dans le domaine privé pour la répartition des tâches, dans les institutions et dans les entreprises. Le MGI estime que le déficit économique dû à la discrimination des femmes s’évalue en millions de milliards de dollar ! Au vu de tels chiffres, on s’étonne que la raison économique ne l’emporte pas.

Même si les filles et les femmes accèdent presque égalitaire aux études, pourquoi restent-elles si peu présentes dans les secteurs émergeants et innovants de nos économies, comme les technologies du numérique ? Malgré qu’elles sortent plus diplômées et nombreuses du lycée, notamment en sciences, elles ne vont pas vers les sciences des ingénieurs, les nouvelles technologies, les métiers de la finance. Si les législations et les réglementations contre les discriminations sont acquises, si les accès aux études sont libres et si toutes les études sociologiques et économiques dénoncent l’inanité de ces discriminations, pourquoi persistent-elles ? Un tel constat anthropologique amène deux questions : est-ce dans la nature des mâles et/ou est-ce que cela pro- vient de notre de notre évolution ? (Cf. Pascal Picq Et l’Evolution créa la Femme Odile Jacob 2020).

La comparaison avec les espèces proches de nous, comme les grands singes africains – gorilles, les chimpanzés et les bonobos, révèle que notre espèce Homo sapiens est globalement très coercitive et violente envers ses femelles que sont les femmes. Est-ce une fatalité venue de nos origines commune avec les chimpanzés ? Impossible à trancher entre le modèle bonobo égalitaire et le modèle chimpanzés coercitifs. Plus largement, il ressort qu’il n’y a pas de lignée de singe systématiquement coercitive et quelles que soient les conditions écologiques. C’est donc une affaire de relations sociales et de pouvoir entre les femelles et les mâles.

 

La comparaison avec les espèces proches de nous, comme les grands singes africains – gorilles, les chimpanzés et les bonobos, révèle que
notre espèce Homo sapiens est globalement très coercitive et violente envers ses femelles que sont les femmes. Est-ce une fatalité venue de nos origines commune avec les chimpanzés ? Impossible à trancher entre le modèle bonobo égalitaire et le modèle chimpanzés coercitifs. Plus largement, il ressort qu’il n’y a pas de lignée de singe systématiquement coercitive et quelles que soient les conditions écologiques. C’est donc une affaire de relations sociales et de pouvoir entre les femelles et les mâles.

Du côté de la préhistoire, impossible de déterminer si, depuis les origines du genre Homo en Afrique il y a deux millions d’années, les sociétés humaines étaient coercitives ou pas. Les données de la paléoanthropologie et de l’archéologie préhistorique ne permettent pas trancher, sachant que des milliers de sociétés de différentes espèces humaines ont existé et coexisté pendant des centaines de milliers d’années, suggérant un vaste champ des possibles sociétaux. C’est vers la fin de la préhistoire, au Paléo- lithique supérieur (45.000 à 12.000 ans), qu’émergent des sociétés d’économies de chasse et de collecte plus complexes, certaines inventant de grandes civilisations. Il s’ensuit des tensions avec des économies de stockage et de guerre, de l’esclavagisme, des meurtres collectifs et des rapts de femmes. En fait, apparaissent des sociétés aux organisations économiques, sociales et politiques plus complexes et plus agressives à côté d’autres plus égalitaires. Cependant,
il n’y a pas de corrélation entre les systèmes économiques et la coercition masculine, qu’il s’agisse d’économies de chasse et de collecte, horticoles, agricoles ou industrielles. Si la production de richesse favorise les inégalités, elle ne sont pas à l’origine des discriminations et des coercitions envers les femmes, si ce n’est des facteurs aggravants. Les raisons premières sont avant tout anthropologiques, autrement dit sociales, culturelles et idéologiques. Plus précisément, tout se ramène à la quête de statut pour les hommes et à leur volonté de contrôler la sexualité des femmes.

La crise de la covid 19 intervient brutalement dans un contexte d’amélioration, aussi récent que fragile. Les discussions autour du télétravail en sont la parfaite illustration. Le spectre des discriminations rejaillit avec la tendance à renvoyer les femmes dans leurs foyers pour y effectuer des tâches, s’ajoutant aux tâches éducatives et domestiques. On retrouve la situation de la fin du XIXe siècle avec les machines à coudre Singer, expulsant les femmes des usines. On renoue avec les comportements favorisant la domination des mâles chez les singes : empêcher que les femmes de se coaliser ; limiter leur présence dans l’entreprise et éviter qu’elles ne tissent des liens avec des hommes influents sensibles à leurs talents. Il est grand temps que l’éthologie et l’anthropologie entrent dans le monde économique et social pour favoriser d’autres évolutions.

Article de Pascal Picq – La Revue RH&M – N° 80

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