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Pascal Picq: vous avez tout faux sur l’homme de cro-magnon!

Le paléoanthropogue publie son « Manifeste intemporel des arts de la préhistoire » (Flammarion) et « Comment la modernité ostracisa les femmes » (Odile Jacob) où il invite à chasser les fausses représentations qui habitent nos imaginaires vis-à-vis du mode de vie de nos ancêtres préhistoriques.
L’équipe du 9h10 trouvait la période un peu morose jusqu’à ce qu’elle tombe sur cette phrase enthousiasmante : « La certitude est l’ennemi de l’émerveillement ». Bon sang ! Qui a donc écrit cela ?
Pascal Picq, paléoanthropologue mondialement, réputé est venu partager ses leçons sur l’art à la préhistoire où il remet en question toutes les représentations erronées que nous autres humains nous nous faisons de l’Homme de Cro-Magnon. Il a exhumé des somptuosités vieilles de 30 000 ans et quand vous ne serez plus sûrs de rien, vous pourrez vous émerveiller. Le paléontologue se balade dans l’art d’il y a -30 000 ans, -15 000 ans et puis dans l’art du XIXᵉ siècle, du début du XXᵉ siècle, avec une grande liberté, et continuité en les mettant à égalité.

La Paléontologie, c’est quoi déjà ? Paléo : ancien. Anthropos : l’homme et Logos : les connaissances, l’étude des origines et de l’évolution de la lignée humaine.

La paléontologie au service de la continuité du vivant : « Nous sommes les singes d’aujourd’hui »
Le savant est né dans un milieu populaire, ouvrier en banlieue parisienne. Il aura rencontré plein de moments de ruptures et de réinvention au cours de sa carrière. D’abord, il opte pour des études de physique avant de rencontrer la paléontologie, l’étude de la préhistoire. C’est aux Etats-Unis, dans les laboratoires américains, qu’il commence à étudier les grands singes où tout va changer, notamment en 1986, cette date charnière où Jane Goodall publie un livre sur les chimpanzés, une œuvre fondatrice, ainsi que deux articles qui sortent dans le Journal of Human Evolution, où sont décrits les sociétés de chimpanzés. C’est ce qui lui fait prendre conscience qu’il faut changer d’imaginaire social à l’égard du vivant afin de mieux comprendre ce qui nous entoure, et surtout la vie de nos ancêtres.

En effet, le chercheur estime alors qu’on a tout faux puisqu’il s’aperçoit que les chimpanzés ont exactement les mêmes systèmes sociaux que nous autres humains, ont des outils, chassent, font de la politique, ce qui n’enlève rien aux humains. C’est ce qui fait que, depuis 30 ans, il fait tout pour montrer que la notion d’animal n’a aucun sens dans d’autres domaines. Ce n’est pas nous inférioriser que de se comparer aux grands singes, mais au contraire de montrer que les grands singes et d’autres espèces sont beaucoup plus humains, avec des caractéristiques communes que nous partageons. Ce n’est pas de l’anthropomorphisme, mais le fait de penser la continuité du vivant. C’est son grand virage puisque, à partir des années 1990, il se spécialise vers l’évolution des systèmes sociaux, comportementaux, cognitifs, constatant que : « nous ne descendons pas du singe, nous sommes les singes d’aujourd’hui, nous sommes une variation par rapport à d’autres possibles ».

Quand il est passé du monde de la physique théorique vers le monde de la paléoanthropologie, ses nombreuses études et rencontres avec Yves Coppens et tant d’autres savants de renom, il s’est retrouvé totalement abasourdi devant le nombre incalculable des images péjoratives entretenues sur nos ancêtres.

Avec Cro-Magnon, nous nous ressemblons plus qu’on ne le pense
Nous sommes encore pétris de représentations erronées, elles-mêmes conditionnées par le prisme d’une évolution et d’un déterminisme darwinien que nous aurions détourné en nous considérant comme une fin en soi du monde vivant, le fruit d’une évolution du progrès qui nous empêche de nous penser comme l’égal des espèces animales qui nous ont précédées avec lesquelles nous avons toujours formé un tout mais à des époques très lointaines.

Surtout, notre idéologie du progrès a toujours tendance à biaiser la vision que nous pouvons avoir du mode de vie de nos ancêtres préhistoriques qui sont loin d’avoir été plus bêtes que nous. Dans ce livre « Manifeste intemporel des arts de la préhistoire », rempli d’images, de textes courts, Pascal Picq montre au contraire qu’on a des civilisations entières d’artistes et d’esthètes, qui entretiennent un vrai goût pour le beau, pour le symbole, un goût pour la magnificence : « On les a tous imaginés avec leurs borborygmes, dans un état sauvage, complètement affamés, comme s’ils étaient plus dépossédés d’eux-mêmes, meurtris par les éléments naturels, arasés par les fauves, et que la création artistique leur était impossible, mais c’est faux ! C’était un grand choc, par exemple, de constater dans le monde savant, au tournant du XIX et XXᵉ siècle, que nos ancêtres préhistoriques faisaient de l’art. Ces hommes et ces femmes avaient plus faim de beauté, de symboles que de gibier ».

Il nous faut sortir du prisme de l’évolution et du paradigme des causes finales selon lesquels Sapiens a été déterminé, sélectionné par l’évolution et que la lignée humaine n’aurait jamais pu être autrement. Le paléontologue tient à rappeler que ce n’est pas parce que cette logique d’évolution est arrivée, qu’elle devait inévitablement arriver. « L’idée que toute la lignée humaine a été faite pour nous engendrer nous autres humains modernes est une fausse représentation qui nous conduit à nous penser comme le centre du monde, du vivant et à prendre de haut nos ancêtres préhistoriques. En réalité, notre évolution se bâtit sur quelque chose de beaucoup plus aléatoire qu’on ne le pense. Nous faisons partie d’un des chemins des possibles à s’être mis en place, là où un autre aurait pu tout aussi bien s’appliquer. Nous nous inscrivons dans la continuité d’un de ceux-là, mais ce n’était pas forcément le seul possible, déterminant et inévitable au départ, car nous sommes le fruit d’une démarche qui n’est pas du tout hiérarchique, déterminée au départ ».

 

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