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Pascal Picq – La nature en ville

«Il faut envisager les espaces urbains comme des écosystèmes avec des îlots»

Spécialiste de l’évolution de l’homme, le paléoanthropologue français Pascal Picq revient sur la question de la place de la nature et de l’homme en ville.

Comment la présence de la nature a-t-elle évolué dans la ville à travers l’histoire ?  La ville, telle que nous la concevons en tant qu’espace complexe, avec des habitations et des activités, apparaît dans différentes régions entre 4 000 et 2 000 ans avant notre ère. Son invention s’accompagne de nouvelles représentations du monde, notamment de la nature. Qu’elle soit sauvage et domestiquée, elle doit dorénavant se tenir hors des murs. La Renaissance illustre avec force cette évolution. L’utopie de Thomas Moore se traduit dans des conceptions des villes centrées sur les seuls humains – c’est l’humanisme – sans présence de la nature, que ce soit des plantes ou des animaux. L’architecture, avec Le Corbusier ou Oscar Niemeyer par exemple, devient rationnelle et fonctionnaliste. Les faubourgs, où il n’y a pas si longtemps on trouvait des fermes et des maraîchers, disparaissent. Les banlieues et les villes nouvelles accentuent cette tendance à l’éloigner davantage, tout en se focalisant sur des nécessités sociologiques.

Les modes de vie urbains s’éloignent résolument des liens avec la nature, même pour les productions alimentaires. Aujourd’hui, l’urbanisation est devenue le milieu de vie dominant pour les humains. Depuis 2007, la majorité d’entre eux vit dans des espaces urbanisés et on estime que ce sera les deux tiers d’ici 2050. Face à cela, je doute que les circuits courts et les quelques migrations de catégories sociales éligibles au travail à distance inversent la tendance.

Si pendant longtemps, la nature semblait exclue de l’espace urbain, elle y est à présent plébiscitée, mais est-ce une réalité ?
On assiste à un renversement complet de paradigme. Les humains ont construit des abris, des habitats, des villes avant tout pour se protéger des aléas de la nature. Aujourd’hui, le défi est de construire et de réhabiliter pour protéger l’environnement. On pense tout d’abord aux murs et aux toits végétalisés. Il y a aussi la préservation ou la réhabilitation d’espaces plus ou moins en friches. Repenser les jardins et les parcs publics. Mais cela suppose de laisser quelques libertés aux diversités végétales, ce qui entraîne de facto celles des insectes, des oiseaux, des reptiles, des mammifères, comme les macaques en Inde, les renards à Londres, les ours au Québec ou encore les sangliers chez nous. Pourtant je ne suis pas sûr que tout le monde soit prêt. Les risques sont multiples pour les dégradations et aussi du point de vue sanitaire.

Dans quelle mesure pouvons-nous accentuer cette nature dans les villes ?
«A ce sujet, je préfère parler d’écologie urbaine, un champ scientifique qui devrait prévaloir dans tout projet d’urbanisme. Selon moi, il faut envisager les espaces urbains comme des écosystèmes avec des îlots, des corridors plus vastes qui couvrent la ville et aussi ses franges périurbaines. Des quartiers verts ne suffisent pas. Il faut qu’ils soient reliés, ce qui amène à repenser les aménagements des voies de circulation, même à pied. Quand on sait que deux tiers des déplacements urbains en voiture se font sur moins de 3 kilomètres alors que c’est à peine plus rapide qu’à pied, on s’étonne. Mais cela tient plus à un problème d’aménagement que de comportements. Aller à pied plutôt qu’en voiture, c’est moins de pollution, une meilleure santé, plus de convivialité et aussi favoriser le transport involontaire de diversités végétales entre les îlots ou quartiers verts. Inventer la ville péripatéticienne (1) pour les fabuleux bipèdes que nous sommes.»

(1) En référence à l’habitude qu’avait Aristote d’enseigner la philosophie en se promenant avec ses disciples.

LIBERATION

Conférences et débats ; rencontres avec des biologistes, écologues, architectes, philosophes ou sociologues… Du 20 au 22 mai à Rouen, la Fédération BioGée et la ville de Rouen organisent les journées «Naturellement !» avec un but cette première année : expliquer et comprendre l’importance de la nature en ville.